Les bords de Loire sont incroyables ! Il s’agit de l’itinéraire vélo le plus fréquenté en Europe. Et en effet, c’est la première fois que l’on croise autant de cyclotouristes sur notre trajet. On a même pu y rencontrer des touristes-kayakistes. Descendre la Loire en kayak, c’est aussi possible.
Arrivé à Nantes, nous nous séparons de nos amis et reprenons le rythme des interviews. Notre première rencontre est celle du studio de design Faltazi. Cela veut dire « Imagination » en breton. C’est drôle, non ?
Laurent et Victor nous accueillent avec un café. Ils nous expliquent leurs parcours. Ils ont réalisé tous les deux la même école de design que Louise Raguet (voir article précédent) à Paris. Après avoir travaillé quelques temps chacun de leur côté, ils décident de monter leur activité ensemble. Ces premières expériences professionnelles leur ont permis de développer des compétences en modélisation 3D. Laurent vient de la région nantaise et Victor voulait quitter Paris. Le choix est donc vite fait. Faltazi sera sur l’île de Nantes !
Au début, leurs principales activités sont le design industriel pour des entreprises d’électroménager. Les Faltazi ont pendant longtemps conçu des fers à repasser, des interrupteurs, des prises électriques et des aspirateurs. Ce expérience leur permet d’avoir une bonne connaissance des processus de fabrication industrielle et des matériaux utilisés. Comme tout designer, ils essaient de concevoir les produits en prenant en compte l’ensemble du processus de fabrication et d’utilisation. Ce sont les débuts de l’éco-conception à l’époque.
Marqué par la lutte contre l’aéroport de Notre-Dame des Landes dans laquelle ils s’engagent personnellement, les Faltazi décident de prendre un virage à 90°. En 2010, ils montent le projet « Les Ekovores ». Celui-ci consiste à repenser l’organisation alimentaire de la métropole nantaise afin de diminuer son impact environnemental et d’augmenter sa résilience. Pour cela, ils entament une longue réflexion à coup de croquis, de brainstorming, de réunion d’idées, de recherche afin de repenser la production locale de denrées.
A chaque étape de la chaîne de production locale, ils se sont attachés à créer des équipements incitant et facilitant le développement d’une économie circulaire :
Systèmes préfabriqués de fermes d’urgence pour la production en ceinture verte ; dispositifs ‘urbagricoles’ installés dans les espaces publics ; moyens de transports pour la distribution des productions ; modules préfabriqués pour la transformation et la conservation des aliments ; mobiliers urbains pour la valorisation des déchets organiques ; plateforme numérique pour l’échange de savoir-faire et l’orchestration savante du jardin-potager.
Dans tout ça, nous avons été le plus marqué par leur idée de wagon-maraîcher qui irait chercher les produits dans la ceinture verte de la ville et viendrait les distribuer dans le centre par un système de casiers en accordéon. Le train pourrait également avoir plusieurs utilisations : transporter les fruits et légumes la nuit et les passagers en journée. Ils ont également conçu une cuisine dessinée pour faciliter le recyclage des déchets. En maximisant le tri à la source, on augmente les possibilités de réutilisation et de recyclage. Malheureusement, aucuns de nos systèmes actuels ne sont conçus en ce sens. Beaucoup de choses sont à repenser !
Vous l’aurez compris, Faltazi, c’est un vrai laboratoire d’idées. Ça fuse de partout et ça conçoit tout le temps ! Avec le projet « Les Ekovores », Laurent et Victor ont été de nombreuses fois sollicités pour des conférences, des animations et des présentations. Cela parait moins original aujourd’hui quand on évolue dans le milieu écolo mais en 2010, les Ekovores, c’était précurseur !
Ils décident ensuite de concrétiser ces idées par la fabrication des premiers prototypes qui prennent la forme de mobilier urbain destiné à la valorisation des déchets organiques. Ni une, ni deux, nous enfourchons nos vélos et partons voir leurs installations nantaises. Premier arrêt dans le quartier Nantes-Malakoff où l’on retrouve un composteur de quartier qui devrait durer dans le temps, l’Ekovore. Les portes s’ouvrent en latéral. Un système de poulies à l’intérieur permet de retourner le compost régulièrement par les référents du site. La structure est surmontée d’une toiture végétale. Il s’agit principalement d’une demande des services de la ville afin d’intégrer au mieux ce mobilier urbain. La toiture permet également de récolter l’eau de pluie et de la stocker dans une cuve. Cette eau peut ensuite être utilisée par les habitant.e.s pour nettoyer leur seau après l’avoir vidé. Le socle de la structure est un sol vivant reconstitué permettant au compost d’être ensemencé. Toutefois, le compost est séparé de cette terre par un caillebotis. Une seconde permet de recouvrir le compost, ce qui le rend inaccessible aux rongeurs, principale épine pour réaliser du compostage en milieu urbain. Un banc est situé à proximité du composteur. Il contient en son coeur du broyat de bois apporté par le service des espaces vert et pouvant être utilisé par les référents du site.
On y a planté le croc, je vous assure, il y en a de la vie dans ce composteur ! Aujourd’hui, celui-ci est installé depuis bientôt 9 ans. Il rassemble les déchets organiques de 50 familles, soit 125 habitants. Laurent et Victor nous racontent même que les habitants ont pour habitude de se faire des apéros-compost le week-end. Cela devient un lieu convivial, une belle preuve de réappropriation de l’espace public !
La suite de la visite s’effectue dans les rues de l’hyper-centre où les étudiant.e.s aiment boire des verres le soir. Pour lutter contre les pipis sauvages, les Faltazi ont créé les Uritrottoirs. Il s’agit d’urinoirs masculins en acier. Pour faciliter leur intégration, ils sont dotés d’une jardinière. Les gens pensent que l’urine alimente en direct cette jardinière mais il n’en est rien. Elles s’écoulent au travers d’une fente dans un bac soit rempli de copeaux soit d’acide lactique afin d’éviter les odeurs. Les uritrottoirs ne sont pas raccordés au réseau d’assainissement collectif. Un agent d’entretien doit venir les vider régulièrement (1 fois par semaine à minima). A Nantes, il s’agit de Veolia. L’entreprise s’occupe à la fois de la gestion de la propreté dont les uritrottoirs à l’échelle de la ville. Aujourd’hui les urines sont renvoyées en station d’épuration. A terme, Nantes souhaiterait pouvoir travailler avec l’entreprise Toopi Organics (voir article précédent) afin que les urines soient revalorisées en agriculture.
Le terrain de jeu des Faltazis est urbain. Ils sont habitués à cet environnement qui exige l’utilisation de matériaux robustes pour prendre en compte le vandalisme. Ils ont travaillé d’ailleurs avec des entreprises du chantier naval de Saint-Nazaire pour fabriquer leurs premiers équipements. Aujourd’hui, c’est une entreprise angevine qui fabrique les petites séries qu’ils commercialisent. Sur les uritrottoirs, la ville leur a demandé de les colorer en rouge afin que l’on puisse facilement les repérer.
Ce sont des structures mobiles. Leur positionnement dans l’espace public nécessite un certain soin. Ils doivent se situer au plus proche des lieux de consommations et de préférence à l’abri des regards. Typiquement, dans une des ruelles généralement empruntées par les « pisseurs sauvages ». Et oui, car ces installations ne sont finalement que très peu utilisées en journée. Ce sont plutôt les fêtards qui en sont friands à la fermeture des bars. C’est ce que révèle la sonde de suivi du remplissage du bac à urine mise en place par Laurent et Victor sur leurs installations.
La fabrication et la vente des uritrottoirs a démarré il y a 5 ans désormais. On peut aujourd’hui en retrouver à Paris, Toulouse, Nantes, Bruxelles, Rennes, Amiens, Cergy, Locminé, … Pour le moment, on leur reproche reproche de ne pas installer d’urinoir féminin. Leurs installations se sont notamment faites grandement critiquées à Paris par certains groupes de citoyens. Mais cela ne saurait tarder, les Faltazi sont en pleine réflexion. Les urinoirs féminins devraient bientôt arriver ! Ils se présenteraient cette fois-ci comme une cabine pouvant être fermée par un loquet. Les toilettes publiques sont bien souvent un refuge pour les femmes en ville. C’est un endroit où elles peuvent se protéger facilement.
Après avoir déjeuné ensemble, Laurent prend le temps de nous faire une visite guidée de l’île de Nantes avec ces machines, ces anciennes cales, le manège géant et le bateau militaire. C’est une ville que nous ne connaissons pas du tout. On assume alors totalement notre posture de touristes !
Merci à tous les deux de nous avoir reçu. Cette visite nous a redonné beaucoup d’énergie car les Faltazi ont des idées plein la tête et un second-degré extraordinaire. On s’est bien fendue la poire !